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Iguana delicatissima (Laurenti, 1768)
Iguane des Petites Antilles
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par Michel BREUIL *

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Systématique - Description - Répartition dans l'archipel Guadeloupéen -
- Répartition locale - Habitat - Biologie-Écologie - Reproduction -Protection -

 

 

 

 

Systématique :
Types : "Les figures de Séba et le ou les spécimens de la collection du Comte de Turu" (Daudin, 1802a; Brygoo, 1990a).
Localité-type: "In Indiis". Restreinte par Lazell (1973) à : "The Island of Terre-de-Bas, Les îles des Saintes, département de la Guadeloupe, French West Indies" .
Restriction non valide (p. 5).
Synonymes " taxonomie : un travail ultérieur clarifiera ces problèmes.

Lazell (1973) a écrit que : "le type n'a jamais été désigné ; Laurenti (1768) note du matériel déposé au Musée de Turin". Etheridge (1982) a repris en l'aggravant l'erreur de Lazell (1973) en écrivant : "Holotype : Zool. Mus. Turino, non localisé" . En effet, la citation du Musée de Turin par Lazel1 (1973) n'est qu'une erreur de traduction du nom de Tum. Laurenti a indiqué au début de son ouvrage que les collections du comte de Tum étaient à Vienne. La famille des "Thum (ou Tum) und Taxis" a été une des grandes familles princières d'Europe qui s'est vue confier le monopole des communications par les Habsburg dès le début du XVI° siècle. Les collections du comte de Turn ont malheureusement disparu (Anne-Marie Olher et Alain Dubois, comm, pers., janvier 1999).

Laurenti a fondé sa description d'Iguana delicatissima d'une part sur les commentaires et les dessins de Seba (1734) et d'autre part sur des individus des collections du comte de Turn. Dans sa description des iguanes, Seba a insisté sur leurs qualités gustatives.
Par exemple il a écrit, à propos de l'iguane (représenté par le dessin 96.4) : "... même sa chair passe pour être délicieuse". Le nom de delicatissima vient du latin delicius (délicieux), le qualificatif delicatissima suggérerait qu'il est meilleur qu'Iguana iguana. Lazell (1973) qui a étudié et goûté les deux espèces est de cet avis culinaire !
En raison de l'absence d'écailles coniques sur le cou, il a été appelé iguane à cou nu (Iguana nudicollis) par Cuvier (1816, 1829).

Systématique - Description - Répartition dans l'archipel Guadeloupéen -
- Répartition locale - Habitat - Biologie-Écologie - Reproduction - Protection -

 

Description, Diagnose :

L' iguane des Petites Antilles (Iguana delicatissima) est plus petit et moins lourd que l'iguane vert ou iguane commun (Iguana iguana). Ainsi, les mâles de l'iguane des Petites Antilles atteignent une taille de 43,4cm (longueur du corps de l'extrémité du museau au cloaque) et un poids de 3540g, et les femelles 40, 1 cm et un poids maximal de 2 650 g quand elles sont gravides (Reichling 2000 ; Day et al., 2000). La longueur totale ainsi atteinte n'excède pas 140-150cm.
Du Tertre (1667) a donné une longueur atteignant 5 pieds. Il existe une grande variation dans la taille maximale de cette espèce. Ainsi, à Chancel (Martinique), nous n'avons pas trouvé de mâles dépassant une longueur maximale de 1 1 1 ,5 cm (LC = 33 cm) et un poids de 1 900 g (n = 36) et de femelles de plus de 108cm (LC=30,5cm) et d'un poids de 1540g (n = 6 1 ) pour une femelle gravide. À Saint-Barthélemy, le plus long mâle mesuré atteignait 129cm
(LC=38,5 cm) et un autre de 115cm (LC=36cm) pesait 2700g, soit 100g de plus que le précédent (n;5). Le mâle présenté sur la photographie (p. 129) a vécu plus de 15 ans (J.-C. Plassais, comm. pers., août 2000) et, à sa mort accidentelle, il faisait 136 cm de longueur. Les femelles les plus longues mesurent 123 cm (LC=38,5 cm) et la plus lourde, qui était gravide, pesait 3050g (n= 20). Néanmoins, cette population n'est peut-être pas représentative de l'ensemble des iguanes de Saint-Barthélemy. En effet, elle bénéficie d'un apport alimentaire (bananes, fruits divers . . . ) par les propriétaires du terrain où elle se situe notamment après les cyclones. À Petite Terre, le plus long mâle mesuré atteignait 121cm (LC = 39 cm) pour un poids de 2 450 g (n = 1 7) et la plus grande femelle gravide mesurait 115cm (LC=33,5 cm) pour un poids de 1950g (n=35).
Dans les ravines humides de la Basse-Terre, les individus sont beaucoup plus imposants et le plus gros mâle que nous avons mesuré atteignait 141,5cm (LC=41 cm) pour un poids de 3400g (n= 10) et la plus grosse femelle 130cm (LC=40cm) pour un poids de 2700g (n=15). Il en est de même à la Dominique et à la Martinique. Schardt (1998a) a mesuré à la Désirade un mâle de 139cm (LC=38,7cm) et d'un poids de 2550g. Sa plus grosse femelle atteignait 114,5cm (LC=33cm) et un poids de 1900g.
Dans ce contexte, les iguanes de Chancel apparaissent très petits même par rapport à ceux de Petite Terre qui vivent dans un milieu à peu près équivalent.

Iguana delicatissima est trapu. Cette caractéristique, associée à la coloration marron et un comportement particulier, le fait ressembler superficiellement aux iguanes terrestres du genre Cyclura (Alberts, 2000) qui habitent actuellement les Grandes Antilles, mais qui était peut-être aussi présent dans les Petites Antilles (p. 31). Le genre Iguana se distingue morphologiquement des espèces du genre Cyclura (iguane terrestre ou de rocher), par la présence d'épines gulaires sur le fanon (absentes chez toutes les espèces de Cyclura), et par la crête épineuse continue s'étendant de la nuque à la queue alors que celle des Cyclura est séparée en trois régions distinctes (nucale, dorsale, caudale).

 

Iguana delicatissima (juvéniles)

L'iguane des Petites Antilles peut être facilement distingué, quel que soit son âge, d'Iguana iguana, par un seul détail moryhologique. Iguana delicatissima ne présente pas d'écaille (plaque) subtympanique élargie, alors qu'Iguana iguana a une plaque subtympanique beaucoup plus grande que le tympan. D'autres caractères morphologiques différencient les deux espèces.
Ainsi, la queue d'Iguana delicatissima est unie alors que celle d'Iguana iguana est annelée de noir. Les épines du fanon (moins de 10 et en général moins de 8) ont plutôt une section circulaire et sont souvent recourbées chez Iguana delicatissima alors qu'elles sont aplaties chez Iguana iguana. Ces épines se trouvent dans la moitié supérieure du fanon chez I. delicatissima alors qu'elles s'étendent dans la moitié inférieure chez I. iguana. L'angle antérieur du fanon est arrondi chez I. delicatissima et plutôt droit chez I. iguana.
Chez Iguana delicatissima, les écailles supralabiales et sublabiales sont bombées et alignées alors qu'elles sont plutôt plates et forment une mosaïque chez Iguana iguana. Les seules exceptions à ces caractéristiques sont les hybrides entre ces deux espèces trouvés aux Saintes, sur la Basse-Terre (Breuil, 2000b,c ; Day et al., 2000) et sur la Grande-Terre (Breuil, 2000b,c). Wijffels (1997) a donné une assez bonne description des caractères différentiant les deux espèces du genre Iguana.

Les hybrides présentent des phénotypes très variables, certains ressemblent par leur couleur et leur morphologie à l'une ou l'autre espèce. Ainsi, un mâle de Terre-de-Bas des Saintes, de phénotype global delicatissima, présentait une plaque subtympanique de grande taille et la rangée classique d'écailles supralabiales de cette espèce. En revanche, des individus de la Basse-Terre et de la Grande-Terre possèdent un phénotype global d'Iguana iguana avec une queue néanmoins peu annelée et une plaque subtympanique de taille plus réduite, prolongée par 3 ou 4 écailles infralabiales bombées plus ou moins isodiamétriques (Breuil, 2000c). La couleur est parfois originale, un mâle de la Basse-Terre (p.133) possède une coloration globalement orange en plus des caractères cités précédemment et une femelle de la Grande-Terre (p. 118) une couleur uniforme beige-brun. Un mâle de Grande-Terre présente une coloration orange vermillon plus soutenue avec des marbrures brunes, un nombre d'épines gulaires de 8-9, une série d'écailles labiales pratiquement isodiamétriques mais asymétrique entre le côté droit et le côté gauche (p. 144) et une queue orange vermillon annelée de noir. Cette couleur orange-rouge a été notée par les Saintois pour les iguanes du Chameau (partie occidentale de Terre-de-Haut) que certains appellent iguanes rouges (Breuil et Sastre, 1993). Nous l'interprétons comme une marque de l'hybridation entre le vert d'Iguana iguana et le gris-marron d'Iguana delicatissima. Ces différents phénotypes suggèrent que les hybrides pourraient éventuellement se croiser, dans certaines conditions, avec les espèces parentales à moins que la prédominance d'un type de phénotype corresponde à celui de la femelle (Breuil, 2000c).

Les adultes de l'iguane des Petites Antilles présentent un dimorphisme sexuel pour quelques caractères. Les mâles possèdent des épines nucales, dorsales, caudales et gulaires de taille supérieure à celles des femelles ainsi que des écailles occipitales de plus grande dimension. Tous ces caractères dimorphiques donnent un profil particulier aux mâles qui est mis en avant lors des disputes territoriales. Chez les mâles dominants adultes, le corps et la queue sont marron-gris foncé. Quand les mâles sont sexuellement actifs, les joues deviennent rosées et les écailles occipitales charnues développent une légère couleur bleue. Le dessus de la tête présente deux gibbosités molles de couleur gris-bleu. Un dépôt important de graisse forme les "bajoues" qui donnent l'illusion d'une plus grosse tête et d'un profil triangulaire quand l'iguane est vu par-dessus, comme dans les cas de combat frontaux et de hochements de tête (head-bobbing). Le dimorphisme sexuel est beaucoup plus marqué dans les populations vivant dans les parties les plus humides (Basse-Terre) de l'aire de répartition que dans celles habitant dans des îles plus sèches où les femelles âgées adoptent une couleur gris foncé, très semblable à celle des mâles dominés (Petite Terre, la Désirade, Saint-Barthélemy).

Les nouveau-nés et les juvéniles sont vert brillant (vert pomme). Des marques blanches sur la mâchoire inférieure, sur les épaules et souvent trois barres verticales blanches sur les flancs forment des dessins qui cassent la silhouette. Les juvéniles ont aussi la possibilité d'assombrir certaines parties du corps, leurs chevrons, ce qui améliore leur camouflage; de ce fait leur couleur s'étend du vert uni au vert avec des taches brunâtres. Les changements ontogéniques de coloration sont dus à une perte progressive des marques blanches et à une réduction significative des capacités à changer de couleur. Chez les deux sexes, la coloration de la tête s'éclaircit jusqu'à ce qu'elle soit claire (blanchâtre) et le corps reste vert uni. La couleur de la queue change précocement, elle devient marron à l'extrémité et s'assombrit progressivement en remontant vers le cloaque.

L'observation d'individus captifs (Jersey Wildlife Trust) indique que lorsque deux mâles sont gardés ensemble au milieu de femelles, l'un devient dominant et prend les caractéristiques physiques et la coloration de cet état. Quand le mâle dominant est retiré, le mâle le plus petit prend les caractères dimorphiques et dichromatiques de la dominance (Day et Morton, 1993; Day et al., 2000).

Systématique - Description - Répartition dans l'archipel Guadeloupéen -
- Répartition locale - Habitat - Biologie-Écologie - Reproduction - Protection -

 

 

Répartition dans l'archipel Guadeloupéen :
A Saint-Barthélemy, l'iguane des Petites Antilles est présent sur toute la superficie de l'île, mais il est plus abondant dans la partie nord. Son effectif serait
de l'ordre de 300-500 adultes avec trois concentrations, l'une sur les hauteurs de Saint-Jean, l'autre à l'anse des Cayes et la dernière à Corossol. Bengt Anders Euphrasen (1756-1797) a relaté dans son séjour en 1788 à Saint-Barthélemy (in Tingbrand, 1995) qu' "Il y a bien des années, ce quadrupède ou lézard était sur toutes les tables, mais à présent, depuis que le pays a été mieux défriché et mis en culture, il devient rare, car les gens l'attrapent pour le manger, en particulier les nègres. On le rencontre encore sur la petite île Fourchue; le plus grand parmi tous ceux que nous avons vu avait 2 pieds de long et valait un demi rixdale specie". Il était présent à l'îlet Frégate, à l'îlet Bonhomme ou Chevreau dans les années 1960 (Lazell, 1973), mais il en a disparu à la suite de la destruction de la végétation par les cabris (Day et Thorpe, 1992; Breuil, obs. pers. août 1996, 2000). Quelques individus vivent encore à l'ilet au Vent à l'est de l'île Fourchue, à Petite Islette à l'ouest de cette île (Breuil, 2000d). Deux terriers et des fèces ont été observés sur Fourchue (Breuil, 2000d) mais aucun iguane, en revanche en août 2001 nous avons observé 2 individus. Une petite population (moins de 10 individus ?) se maintient donc encore sur Fourchue et ses deux satellites (Breuil, 2001b).

Sur l'île de Saint-Martin, Iguana delicatissima semble localisé à la vallée de Colombier et aux mornes la délimitant où nous n'avons vu qu'un seul individu en août 1996. Des témoignages (juillet 1996 et avril 2000) des habitants indiquent que des iguanes (Iguana sp.) sont régulièrement observés dans cette zone ainsi que dans la forêt humide du Pic du Paradis. II y a quelques années, des Iguana delicatissima ont été capturés illégalement dans cette zone et sont depuis élevés en Allemagne. L' espèce est absente de l'île Tintamarre et de l'îlet Pinel. Elle serait à rechercher dans l'extrémité nord-est de l'île qui est une des rares zones qui n'a pas été trop abîmée.

Avant nos prospections intensives (Breuil et Thiébot, 1994), la seule information concernant la présence d'Iguana delicatissima sur la Basse-Terre était une donnée vague de Lazell (1973) à Habitation Debout. Dans l'état actuel de nos connaissances, la répartition d'Iguana delicatissima sur la Basse-Terre est la suivante : de Saint-Christophe (sud de Goyave) à la ravine du Grand Carbet (dans cette région, il cohabite et s'hybride avec Iguana iguana) ; Pointe à Lézard (Philippe Feldmann, comm. pers., avril 1995) et Plage de Clugny sur la côte Caraïbe (Alain Rousteau, Fortuné Guiougou, comm. pers., février 1995). Nous avons pu vérifier (avril 1995, juillet 1997 et août 1999) l'existence de cette espèce dans ces deux localités où elle se reproduit (nids observés à Clugny en août 1999, 2000, 2001).
Sa présence aux îlets à Goyaves est rapportée par Underwood (1962), mais mise en doute par Lazell (1973). Sur ces îlets, nous avons observé (1989, 1993) Iguana iguana ainsi que sur le Rocher de Malendure (Pointe Batterie). Des iguanes sont régulièrement signalés au Morne Deshaies, à Fort-Royal et à îlet à Kahouanne (obs. d'un terrier en août 1999), il est probable que ces iguanes soient des Iguana delicatissima, mais la présence d'Iguana iguana est aussi attestée par un individu trouvé écrasé sur la route dans cette zone (Breuil et Thiébot, 1994). La côte sous le vent et la côte au vent de la Basse-Terre ont certainement eu un peuplement quasi continu d'Iguana delicatissima comme c'est le cas actuellement à la Dominique. La destruction de l'habitat (p. 40) est un facteur de régression de l'espèce. La présence d'Iguana iguana sur la côte sous le vent, entre des populations d'Iguana delicatissima est bien réelle ainsi que l'hybridation qui en résulte (Day et Thorpe, 1996). Elle pourrait être due à une introduction d'iguanes capturés dans le sud de la Basse-Terre et relâchés dans cette zone (Breuil et Thiébot, 1994).

Sur la Grande-Terre, Lazell (1973) a rapporté l'existence d'une population au Bois Eusèbe, mais il a été impossible de la retrouver. En revanche, nous avons appris l'existence d'une introduction d'Iguana delicatissima de la Désirade à Saint-François et leur présence nous a été signalée dans les environs. Néanmoins, à la fin août 1999, nous avons découvert dans la région de Saint-François des iguanes dans un reliquat de mangrove qui a échappé à la destruction. Sur les trois individus observés, il y avait un mâle d'Iguana delicatissima, une vieille femelle d'Iguana iguana et un individu atypique au phénotype Iguana iguana majoritaire que nous avons interprété comme un hybride (Breuil, 2000b). En août 2000 et 2001, nous avons étudié cette petite population. Elle contient au moins un mâle et une femelle delicatissima typiques, un mâle et une femelle iguana, des hybrides (Breuil, 2000c) et quelques jeunes de moins d'un an aux phénotypes difficilement interprétables (conditions d'observation défavorables). Compte tenu de la localisation de cette population, il est peu probable qu'il s'agisse d'introductions. Iguana delicatissima a été introduit à Gosier, et Breuil et Thiébot ( 1994) en ont observé un dans un jardin d'une zone où Iguana iguana est également présent.

Les collections du MNHN renferment des Iguana delicatissima dont l'origine est imprécise (Martinique et Guadeloupe), mais aussi des individus (MNHN 2364, 2366, 2366A) récoltés en Guadeloupe par L'Herminier. Ces individus ont été mentionnés par Duméril et Bibron (1837) et envoyés par L'Herminier Fils.
Aux Saintes, les premiers Iguana delicatissima et Iguana iguana ont été collectés en 1914 (Dunn, 1934). Dans les années 1940-50 Underwood (1962) n'a vu, à Terre-de-Haut qu'Iguana delicatissima. Dans les années 1960, les deux espèces y étaient présentes en grand nombre (Lazell, 1973). Selon Lazell (1973), Iguana iguana occupe les parties sèches de l'archipel : îlet à Cabrit, l'est et le centre de Terre-de-Haut, la Coche et Grand Ilet, alors qu'Iguana delicatissima fréquente Terre-de-Bas et la partie occidentale de Terre-de-Haut, c'est-à-dire les milieux les plus humides. Dans les années 1970, Wijffels (1976) a mentionné la présence d'Iguana delicatissima et d'Iguana iguana à Terre-de-Haut.

En supposant que les données de Lazell (1973) représentent la situation réelle dans les années 1960, les observations réalisées aux Saintes depuis 1987 montrent que la situation a bien changé. Iguana iguana a colonisé le Chameau et en a pratiquement éliminé Iguana delicatissima. Au Carême 1995, en faisant le tour du Chameau, nous avons observé, dans de mauvaises conditions, 5 Iguana delicatissima (peut-être hybrides). Tous les autres iguanes déterminés sur le Chameau depuis 1992 sont des Iguana iguana (Breuil, 1996). Schardt (1998b) n'a pas trouvé le moindre I. delicatissima à Terre-de-Haut en 1995. Sur Terre-de-Bas, il en est de même : nous avons observé des iguanes présentant les caractéristiques d'I. delicatissima (couleur, forme de la tête, nombre d'épines gulaires), mais possédant une écaille subtympanique typique d'Iguana iguana (Breuil et Sastre, 1993; Breuil, 2000c). Inversement, d'autres individus de Terre-de-Bas présentent plus une morphologie de type Iguana iguana avec quelques particularités d'Iguana delicatissima (rang d'écailles isodiamétriques au lieu d'une mosaïque comme chez Iguana iguana), mais la plupart des iguanes observés sont des Iguana iguana typiques. Les iguanes de Terre-de-Bas considérés comme des hybrides d'un point de vue morphologique se sont révélés l'être aussi d'un point de vue génétique (Day et Thorpe, 1996; Day et al., 2000). Ainsi, les deux espèces s'hybrident et sont en compétition aux dépens d'Iguana delicatissima, mais les modalités de la compétition et de l'hybridation ne sont pas encore bien connues. Ce phénomène d'hybridation était déjà en cours dans les années 1960 comme l'a montré l'étude morphologique des iguanes collectés par Lazell dans les années Soixante (Day et al., 2000). Schardt (1998b) a considéré qu'Iguana delicatissima a disparu de Terre-de-Haut pour des raisons inconnues sans que personne ne s'en soit aperçu et il a suggéré d'inventorier les iguanes de la Guadeloupe... ce que nous faisons depuis 1992 !

C'est Iguana delicatissima qui est présent à la Désirade et non pas Iguana iguana comme l'a indiqué Pinchon (1967), suivi par Bénito-Espinal (1978) qui a corrigé son erreur par la suite (Bénito-Espinal, 1990). Les îles de la Petite Terre abritent une population phénoménale d'Iguana delicatissima dont personne n'avait compris l'importance jusqu'à nos observations (Breuil et Thiébot, 1994; Breuil, 1994; Breuil et al., 1994). La taille de la population a d'abord été évaluée à 4000-6000 individus adultes durant l'été 1993 (Breuil et Thiébot, 1994). Son effectif est variable et a atteint 12.000 individus (p. 124) avant l'été 1995 (Barré et al., 1997) et se situait en 1998-99 autour de 10.000 individus (Breuil, 2000b; Lorvelec et al., 2000). Cette différence entre les deux premières estimations est à relier d'une part à la chute probable des effectifs à la suite du cyclone Hugo de 1989 (individus entraînés au large, destruction des pontes par la mer, diminution des ressources alimentaires...) et d'autre part à une exploration très difficile de Terre de Bas en 1993 jonchée par les troncs d'arbres (p. 124). Ces îles sont maintenant classées en réserve naturelle depuis le 3 septembre 1998. Il est étonnant de noter à ce propos que Lazell (1973) a écrit qu'il n'y avait aucun iguane à Petite Terre alors que sa présence était connue de longue date des gardiens du phare et des pêcheurs de Saint-François et de la Désirade, mais les fluctuations d'effectifs sont peut-être responsables de cette absence d'observation.

Ni Breton (1665, 1666), ni Du Tertre (1654, 1667) n'ont mentionné la présence d'iguanes à Petite Terre alors que ces deux pères y ont indiqué la présence de phoques moines tropicaux (Monachus tropicalis) respectivement sous le nom d'ours de mer et de loup de mer "couritou" qui était l'animal le plus original de l'archipel. Les Caraïbes y chassaient ces animaux pendant la saison des pluies au moment de leur migration. Il existe des traces d'occupation arawak datées entre 0 et 1200 après J.-C. On pourrait alors se demander si les Amérindiens n'ont pas relâché des iguanes à Petite Terre voire d'autres animaux (tortue charbonnière, agouti...), comme ils l'ont probablement fait à Tintamarre pour ces deux dernières espèces (qui y sont toujours présentes), afin d'avoir de la nourriture dans cette île sans eau. Du Tertre a indiqué qu'une des îles de la Guadeloupe était peuplée par des lézards (p. 33), il pourrait s'agir de Petite Terre. Les Caraïbes ont nommé Petite Terre "Cayaoli" ce qui signifie d'après Breton (1665, 1666) : "varesque (varech), herbes de mer que les tortues broustent, & que la vague jette sur le rivage de la mer", ce qui est un nom très approprié.

D'un point de vue quantitatif, la Dominique est supposée abriter la plus grande population continue d'iguanes des Petites Antilles principalement à cause de l'importance des habitats littoraux (Day et al., 2000) alors que les îles de la Petite Terre possèdent incontestablement la plus grande densité de cette espèce, mais peut-être aussi une population d'effectif comparable à celle de la Dominique (Breuil, 1994; Breuil et al., 1994 ; Barré et al., 1997 ; Lorvelec et al., 2000). En revanche, certaines populations (BasseTerre, Grande-Terre, Fourchue) ont été réduites à un niveau extrêmement bas dans des zones très limitées et de ce fait, leur survie à long terme est problématique (p. 131).

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Répartition locale :
La distribution précise d'Iguana delicatissima est encore incomplètement connue. Aucune sous-espèce n'est actuellement admise. L'analyse de la variation géographique a été réalisée, utilisant une analyse statistique multidimensionnelle des données biométriques et des techniques de génétique moléculaire (séquençage de gènes). Les résultats obtenus (Day et Thorpe, 1996) ont indiqué, sur la séquence étudiée du gène du cytochrome c, qu'il n'y a pas de variations génétiques chez Iguana delicatissima, mais qu'il existe certaines caractéristiques morphométriques associées à des particularités climatiques. Les iguanes des régions humides sont, entre autres, plus grands que ceux des régions sèches (p. 117). L'uniformité génétique apparente des iguanes des Petites Antilles sur l'ensemble de l'aire de répartition pourrait s'expliquer par une différenciation sur un des bancs méridionaux des Petites Antilles, suivie par une colonisation récente des autres îles. Cette colonisation pourrait avoir une composante d'origine amérindienne (p. 33), mais aussi naturelle.

L'iguane des Petites Antilles habite d'Anguilla au nord à la Martinique au sud. Actuellement, les îles suivantes abritent des populations d'Iguana delicatissima : Anguilla, Saint-Martin, Saint-Barthélemy (+ îlet au Vent à l'est de l'île Fourchue + Petite Islette à l'ouest, Fourchue [en voie d'extinction]), Saint-Eustache, Antigua, Basse-Terre, Grande-Terre [en voie d'extinction], la Désirade, les îles de la Petite Terre, Les îles des Saintes [en voie d'extinction], la Dominique, la Martinique + l'îlet Chancel.

Les collections des musées et les données de la littérature (Dunn, 1934; Lazell, 1973) indiquent qu'Iguana delicatissima a existé à Nevis, Saint-Christophe, Barbuda, à l'île Chevreau, à l'îlet Frégate (Saint-Barthélemy). Les dates de la majorité de ces extincrions locales sont inconnues, mais celles des îlots de Saint-Barthélemy sont postérieures à 1960 (Lazell, ? 973). La présence d'iguanes, probablement Iguana delicatissima, aujourd'hui disparus, est attestée à Marie-Galante depuis le 4 novembre 1493 par Christophe Colomb qui a débarqué à l'Anse Ballet (p. 39)

De nombreux restes d'Iguana ont été découverts à état fossile dans les Caraïbes, ils sont datés entre - 500 av. J.-C. et 1500 ap. J.-C. La distinction entre les deux espèces ne peut pas toujours être faite sur les portions disponibles de squelette et de nombreux auteurs ont tendance à considérer que ces restes appartiennent à Iguana delicatissima (Pregill et al., 1994). Ces fossiles d'Iguana sont connus des îles Vierges (Wing, 1989), de Saint-Christophe, de Saint-Eustache, de Montserrat, d'Antigua, de Grande-Terre, de Marie-Galante, de la Dominique, de Martinique, de Sainte-Lucie, de Grenade et de la Barbade (revue in Pregill et al., 1994; Grouard, 2001). Les fossiles de la Barbade ont été attribués à Iguana iguana (Swinton, 1937), ceux de Saint-Christophe, Saint-Eustache et Antigua à Iguana delicatissima (Pregill et al., 1994). Pregill et al. (1994) ont signalé l'existence de fossile d'Iguanidés à Saint-Martin. Il est à remarquer que la majorité des squelettes d'Iguana ainsi trouvés sont associés à des sites culturels. Pregill et al. (1994) ont supposé que l'agouti (Dasyprocta sp. ) et probablement les iguanes ont été transportés par l'homme pour sa consommation (p. 33). Hoffstetter (1946) a décrit des restes fossiles d'Iguana de Martinique comme appartenant à une nouvelle sous-espèce Iguana iguana reverti que Lazell (1973) a mis en synonymie avec Iguana delicatissima.

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Habitat :
Iguana delicatissima occupe les régions côtières du nord des Petites Antilles, du niveau de la mer jusqu'à 300m d'altitude (Lazell, 1973). Il vient d'être découvert dans le nord de la Martinique à 400m d'altitude par une équipe de l'Office National des Forêts (Michel Tanasi ONF, comm. pers., février 1999). La distribution verticale de cette espèce est restreinte par ses besoins thermiques. L'iguane des Petites Antilles occupe ainsi les broussailles sèches, les forêts littorales sèches, la mangrove aussi bien que les zones basses des forêts humides (Dominique, Martinique, Saint-Martin). Les conditions écologiques de ces habitats varient beaucoup d'une île à l'autre, avec par exemple, la possibilité de vivre dans des habitats secs dégradés en l'absence de prédateurs ou de compétiteurs. Il est possible que cette espèce soit particulièrement adaptée aux modifications annuelles de la végétation provoquées par les cyclones. Son métabolisme et sa taille lui permettent aussi de survivre malgré des perturbations environnementales majeures.

Sur la côte au vent de la Basse-Terre (zone de pluviométrie comprise entre 2000 et 4 000 mm d'eau, qui correspond aussi à la répartition d'Anolis marmoratus marmoratus), les biotopes fréquentés par Iguana delicatissima sont les ravines humides bordées d'arbres (manguiers, pois-doux, bois couleuvre...) coupant les bananeraies surplombant les rivières. L'iguane des Petites Antilles affectionne tout particulièrement les arbres et les substrats supportant de grandes guirlandes d'une liane appelée localement patate sauvage (Ipomea tiliacea) dont il fait une très grande consommation.

La limite altitudinale dans cette région se situe pour l'instant vers 100m (Routhiers). La quasi-totalité des Iguana delicatissima que nous avons observés sur la côte au vent de la Basse-Terre se trouve localisée sur ces lianes. Ceux qui ne l'étaient pas n'en étaient jamais très éloignés. Sur la côte sous le vent, Iguana delicatissima habite des falaises à succulentes (Pointe à Lézard) et une mangrove d'arrière plage très dégradée (Plage de Clugny).

À la Désirade, tout comme aux îles de la Petite-Terre, il tombe environ un mètre d'eau et Iguana delicatissima occupe des milieux arides. Aux îles de la Petite Terre, il affectionne les zones les plus boisées: bois à poiriers et mancenilliers, mapous, gaïacs et les arbustes comme les deux espèces de Capparis (bois couleuvre et bois noir) qui constituent l'essentiel de son régime alimentaire (Breuil et Thiébot, 1994; Breuil, 1994 ; Barré et al., 1997).

En raison de l'altération continue et intense de l'habitat, et plus particulièrement depuis l'arrivée des Européens qui ont pratiqué l'agriculture, l'exploitation des bois, ont construit des habitations, il est peu probable qu'il reste dans les Petites Antilles des habitats côtiers dans leur état original à l'exception, peut-être, de certains secteurs de la partie nord de la Martinique. Néanmoins, la régénération rapide, quand elle est possible, est une caractéristique de la végétation adaptée aux cyclones. Ainsi, il reste encore aux Petites Antilles des surfaces capables d'abriter des populations d'Iguana delicatissima.

La destruction locale de l'habitat ou la perturbation du paysage pour l'exploitation du bois ou la production de charbon de bois, par exemple, ont provoqué le départ des iguanes qui ont pu cependant revenir avec la réinstallation de la végétation (ils peuvent alors réutiliser les anciens fours à charbon pour pondre comme à l'îlet Chancel en Martinique). Toutefois, les iguanes ne peuvent tolérer des perturbations à grande échelle. La dégradation régulière et continue des milieux par des chèvres et des moutons semble avoir des effets immédiats et à long terme sérieux. C'est ainsi que les chèvres ont détruit complètement la végétation de l'îlet Frégate (Day et Thorpe, 1992) et des autres îlets du nord de Saint-Barthélemy comme Chevreau ou Fourchue entraînant la quasi disparition des iguanes. À l'île Fourchue, la végétation arborée a été complètement détruite et il ne reste plus qu'une vingtaine d'arbres (Pisonia, Tabebuia, Capparis) et une végétation d'épineux constituée par différentes espèces de raquettes (Opuntia) et des z'yeux à chattes (Caesalpinia bonduc) alors que dans les années 60, elle était dominée par des poiriers (Benoît Aubin, comm. pers., avril 2000). Quelques iguanes se maintiennent sur cette île et les deux îlets associés (p. 141). Le pâturage conduit au remplacement progressif des espèces dont s'alimentent les iguanes par des espèces toxiques ou physiquement protégées ou peu attractives (Lantana, Croton, Caesalpinia...). D'une manière générale, les zones sujettes à pâturages supportent des densités d'iguane inférieures à celles qui en sont dépourvues.

La population d'iguanes des îles de la Petite Terre est sujette aux aléas climatiques (sécheresses, cyclones...) comme le montrent les variations d'effectifs d'environ 12.000 (Carême 1995) à moins de 6000 adultes (début 1996) (Barré et al., 1997). II semble qu'en 1998 1a population se soit reconstituée (Cabanis, 1998) et elle se maintenait à un effectif très important en 1999 (Breuil, 2000b, Lorvelec et al., 2000). L'augmentation apparente de l'effectif de cette population pourrait être due à un accroissement de la surface de ponte liée à l'exploitation par les iguanes du chemin de gestion taillé dans les formations xérophytiques (Breuil, 2000b). À la suite du Carême très sec de 2001, la population d'iguanes des îles de la Petite Terre a connu une mortalité très importante. En deux heures et demie de prospection le 05.08.01, nous avons compté plus de 300 iguanes adultes morts sur environ 10% de la surface de l'île de Terre de Bas avec des mortalités atteignant, en milieu arboré 20 à 30 individus à l'hectare. Une première évaluation grossière donnerait entre 2000 et 4 000 morts (Breuil, 2001b). Une semaine avant notre visite, les pluies ont débuté et certains secteurs ont commencé à reverdir très partiellement, mais des iguanes continuaient de mourir. Nous avons déposé auprès du gestionnaire de la réserve et de la DIREN un protocole d'étude destiné à obtenir une évaluation plus précise de cette mortalité en fonction des différents milieux et des classes d'âges. Malheureusement, différents obstacles ont empêché la collecte de ces informations inestimables...

À la Désirade et à la Dominique, où les populations sont importantes, il y a des diminutions locales d'effectifs à cause de la destruction de l'habitat et de la chasse. Néanmoins, ces pressions n'affectent maintenant qu'un faible pourcentage de l'aire de répartition à l'intérieur d'une île et ne sont donc pas très significatives.
Dans toutes les autres îles, la chute des effectifs semble due à une combinaison de facteurs comme la destruction de l'habitat et sa fragmentation, les prédateurs introduits (chiens, chats, mangoustes, rats noirs), les herbivores (chèvres, moutons...), la compétition et l'hybridation avec Iguana iguana et les aléas climatiques. Dans toutes ces îles, cette situation existe depuis plusieurs années et ne fait qu'empirer. Par exemple en Martinique l'extension d'Iguana iguana se poursuit (p. 140). La situation est encore pire en BasseTerre et en Grande-Terre (p. 138)

Systématique - Description - Répartition dans l'archipel Guadeloupéen -
- Répartition locale - Habitat - Biologie-Écologie - Reproduction - Protection -

 

Biologie-Écologie :
L'iguane des Petites Antilles est une espèce essentiellement arboricole. Comme Iguana delicatissima fréquente différents habitats avec des conditions climatiques variées et des ressources alimentaires différentes, il existe des divergences dans l'écologie et l'histoire naturelle des différentes populations. Ces différences sont plus nettes entre les populations des milieux "arides" et celles des milieux humides. Cette distinction sépare les populations des îles basses (Petite Terre, la Désirade, Saint-Barthélemy) de celles des îles montagneuses volcaniques (Basse-Terre, Dominique, Martinique).

Les buissons des milieux arides (Petite Terre, La Désirade) sont d'une structure plus simple et d'une moins grande hauteur que les forêts sèches littorales ou mésophiles. Dans ces milieux, les iguanes sont fréquemment au sol et s'enfuient rapidement, ils se cachent parfois dans d'anciens nids où les fissures des rochers. Quand ils sont dans les arbres (gaïac, mapou, mancenillier, poirier), ils se laissent tomber sur le sol pour fuir lorsqu'ils sont perturbés, mais grimpent aussi vers le sommet si l'arbre est assez haut. Ils utilisent des refuges terrestres dans les anfractuosités des rochers aussi bien pour se cacher que pour dormir.

Dans les forêts humides, les iguanes sont exclusivement arboricoles, ils se nourrissent sur les cimes des arbres, parfois à plus de 30m au-dessus du sol et se déplacent en sautant d'arbre en arbre plutôt que de passer par le sol. Ils dorment exclusivement en hauteur dans les arbres, à l'extrémité de branches dégagées, se laissant tomber s'ils sont dérangés. Il en est de même pour les iguanes vivant dans les ravines de la Basse-Terre.

Dès l'émergence du nid, les nouveau-nés se dispersent dans la végétation environnante. Les nouveau-nés et les jeunes vivent principalement dans la végétation basse et dense qui leur offre une protection, des places pour les bains de soleil et une grande diversité de nourriture. Tout au long de leur vie, les iguanes se comportent comme des héliothermes régulant leur température en passant du soleil à l'ombre et en se nourrissant plutôt le matin. Avec leur croissance, ils changent d'habitat et gagnent des arbres de plus en plus grands. La maturité sexuelle est atteinte vers l'âge de trois ans, mais chez les mâles, la reproduction n'a lieu que plus tard à cause de l'impossibilité d'occuper et de défendre un territoire convenable.

Des études précises sur la longévité sont en cours depuis 1993 en Martinique (individu bagué recapturé 8 ans après) et des observations fiables, réalisées sur des populations vivant à proximité de l'homme, montrent que des iguanes atteignent au moins 15 ans. Les prédateurs naturels des nouveau-nés et des jeunes comprennent, selon les îles, les couleuvres (Alsophis spp.), le boa constrictor (Boa constrictor nebulosa), des oiseaux comme la petite buse (Buteo platypterus) et le faucon crécerelle d'Amérique (Falco sparverius) et peut-être des opossums (Didelphis marsupialis). Les Téiidés comme les améives (Ameiva fuscata) ont été observés, à la Dominique, en train de manger des oeufs d'iguanes, mais on ne sait s'ils les ont déterrés où s'ils étaient déjà en surface (Day et al., 2000). À Saint-Barthélemy, les très nombreux améives visitent régulièrement les nids non rebouchés des iguanes et sont susceptibles de consommer les oeufs. Les crabes, les bernard-l'ermite et les rats sont des prédateurs des oeufs (Breuil, 2000d; Lorvelec et al., 2000). On ne connaît pas de prédateurs naturels des iguanes adultes.

Les iguanes sont des ectothermes qui s'exposent au soleil pour porter leur température à un niveau compatible avec leurs activités. À Petite Terre, leur température cloacale au cours de la journée a été relevée sur plusieurs individus. Le matin, avant le lever du soleil, la température est comprise entre 24 et 27 °C suivant l'importance du vent et l'exposition de l'animal. Les mâles, par exemple, passent souvent la nuit à l'extrémité d'une branche, ils se réchauffent progressivement et atteignent une température de 38-39°C, rarement plus. Les femelles, le matin, ont tendance à se chauffer au sol. Arrivés à cette température, les iguanes se mettent à se déplacer et à manger. Au cours de leur recherche de nourriture, ils demeurent parfois à l'ombre et se refroidissent. Ils regagnent alors une place au soleil pour s'exposer de nouveau. Après leur phase d'alimentation matinale, ils rejoignent leur place habituelle et font la navette entre l'ombre et le soleil. La température la plus élevée qui a été relevée sur un mâle en cours de digestion est de 39,4 °C. Aux heures les plus chaudes, 12h30-14h30, ils demeurent à l'ombre.

Une étude détaillée que nous avons réalisée avec Anne Breuil à Petite Terre (Barré et al., 1997) à partir de l'analyse de 240 excréments récoltés tout au long d'une année par d'autres membres de l'AEVA a montré que 28 espèces végétales étaient consommées. Les espèces les plus prisées sont le poirier (Tabebuia pallida), le mancenillier (Hippomane mancinella), l'amourette (Clerodendron aculeatum), le bois couleuvre (Capparis flexuosa) et le bois noir (Capparis cynophallophora), le mapou (Pisonia fragans), le gaïac (Guajacum officinale), le gommier rouge (Bursera simaruba) et le palétuvier gris (Conocarpus erecta). Rousteau (1995) a suggéré que l'absence de régénération de gaïacs était due à la consommation des jeunes plantules par les iguanes (p. 252). Cette hypothèse intéressante devra être testée, mais la présence de jeunes gaïacs (entre 10cm et 1 m de hauteur) à Saint-Barthélemy dans les territoires d'iguanes montre qu'il n'en est pas toujours ainsi. De plus, lors du Carême 2001, les gaïacs de Petite Terre étaient les rares arbres à posséder des feuilles et des fleurs avant les pluies de fin juillet. Ceux-ci ne présentaient pas de traces d'abroutissement plus significatives. Certains gaïacs étaient associés à des iguanes morts (au sol ou dans les branches).

À Saint-Barthélemy, Iguana delicatissima consomme entre autres les feuilles et les fruits des quenettiers (Melicoccus bijugatus), de l'arbre à la colle (Cordia dentata), du bois lolo (Leucaena leucocephala), du poirier (Tabebuia pallida) et des ti-cocos (Randia aculeata). Durant le Carême, il mange plutôt les feuilles, mais durant l'hivernage il fait une très grande consommation des fruits charnus de ces espèces dont il assure une grande partie de la dissémination.

Iguana delicatissima est un végétarien généraliste. Le régime alimentaire comprend des feuilles, des fleurs, et des fruits d'une grande variété d'arbres et de buissons comprenant entre autres: Capparis, Eugenia, Guajacum, Hippomane, Ipomea, Opuntia, Pisonia, Solanum, Tabebuia. Certaines de ces espèces élaborent des composés toxiques les rendant non comestibles pour les Oiseaux et les Mammifères.

Il existe une tendance à un changement de régime alimentaire au cours de l'année. Durant la saison sèche, les iguanes consomment essentiellement des feuilles et durant la saison humide, ils mangent de plus en plus de fleurs et de fruits. L'alimentation est sélective, ils choisissent des jeunes feuilles, des bourgeons floraux et des fruits mûrs. Le transport des graines par les iguanes apparaît important pour des arbres et les buissons, principalement ceux qui possèdent de gros fruits immangeables pour les autres vertébrés. Ils disséminent la bélengère bâtard (Solarium torvum), le ti-coco (Randia aculeata), les cerisiers (Malpighia spp.), l'arbre à colle (Cordia dentata).. .

Il existe aussi des différences interpopulationnelles dans l'écologie alimentaire, reflétant les variations des conditions locales dans la composition des espèces (dues aux conditions naturelles ou à l'introduction d'herbivores). Comme son congénère Iguana iguana, Iguana delicatissima consommerait (Lazell, 1973) des carcasses voire des oeufs et serait un carnivore opportuniste. Ce comportement carnivore, d'Iguana delicatissima observé à la Désirade n'a pu être confirmé.

Des iguanes ont été observés, durant des pluies, buvant la tête en bas, accrochés sur le tronc d'un arbre. Ainsi, l'eau s'écoulait le long de leur bouche. Ils boivent aussi en léchant les feuilles. Ils goûtent leur nourriture avec leur langue charnue avant de la consommer.

Durant la saison humide, les iguanes convergent vers certains arbres chargés de fruits ou ceux qui produisent de nouvelles feuilles. Dans ces situations, les juvéniles des deux sexes mangent ensemble. Quand des adultes se nourrissent simultanément, il n'y a qu'un seul mâle dominant.

Les iguanes ont des capacités natatoires importantes et nous avons récolté de nombreux témoignages notamment aux Saintes et à Saint-Barthélemy d'iguanes nageant entre les îles (p. 34). Breton (1665, 1666) a noté à propos de L' "oüayamaca" : "gros lézard de terre & de mer". Ainsi, les performances natatoires des iguanes avaient déjà été remarquées.

Durant l'été 1993 (Breuil et Thiébot, 1994), nous avons essayé d'appréhender les capacités d'Iguana delicatissima à se déplacer en mer. L' observation la plus concluante a été réalisée entre les deux îles de la Petite Terre à partir d'un canot. Un mâle ayant une température cloacale de 28 °C s'est jeté spontanément à l'eau (t=25-26 °C) à partir du bateau, a nagé en surface pendant 80 s, puis a réalisé une apnée de 16 s, tout en continuant à nager à 2-3 m de profondeur. En remontant, il a avalé de l'eau (clapot) et s'est laissé flotter perpendiculairement à la surface de l'eau. Il a été récupéré, ses poumons vidés par gravité, puis déposé sur le moteur (arrêté) afin qu'il se réchauffe, sa température cloacale était alors de 25 °C. En 2 minutes, elle est remontée à 29°C. L'iguane s'est rejeté à l'eau, 6 minutes après son premier plongeon. Il a alors entamé une apnée consécutive de 28 minutes, par 3 m de profondeur, à une température de 26 °C. Il était immobile sous un surplomb de corne d'élan, puis il est remonté et a repris sa nage en surface pendant 6 minutes avant de "reboire la tasse" pour les mêmes raisons que précédemment. Sa température cloacale, après ces 34 minutes passées dans l'eau, était de 26°C. Après 15 minutes passées à l'air, sa température cloacale était de 25 °C pour une température de 24°C (soleil caché, vent). Après ces épreuves, l'iguane a été replacé sur son buisson.

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Reproduction :
Les mâles dominants défendent activement un territoire, au moins pendant la période de reproduction, contre les mâles qui cherchent à les évincer pour prendre possession des femelles résidentes. En Dominique, ils utilisent un territoire d'une superficie moyenne de 1000 m² (n=4) alors que les femelles occupent un territoire de 2000 m² (n=4). Le comportement en dehors de la saison de reproduction est inconnu, bien que quelques observations suggèrent que les mâles défendent encore leur territoire (Day et Morton, 1993 ; Day et al., 2000; Breuil, obs. pers.).

Au moins durant la saison de reproduction, les mâles défendent agressivement un petit territoire. Sa défense se fait essentiellement sans contact, elle comprend diverses attitudes dont des hochements de tête (head-bobbing), des ondulations, des gonflements du corps voire de modestes extensions du fanon. Quand les deux protagonistes sont proches l'un de l'autre, une marche côte à côte conduit à un affrontement tête contre tête ou chaque iguane cherche à pousser l'autre. Les combats sont plutôt rares mais violents et des blessures spectaculaires s'observent sur la tête (mâchoires, museau, fanon), les membres, la queue et la crête de certains mâles. La parade nuptiale est limitée et l'accouplement est typique de celui qui est pratiqué chez les autres grands iguanes, avec parfois une morsure au cou, qui ne dure pas pendant toute la copulation, et le mâle montant sur la femelle.

Iguana delicatissima
est une espèce polygame (un mâle avec plusieurs femelles) avec une sexe-ratio comprise entre 1/1 et 1/7 (Day et al., 2000), voire plus (1/12 dans une ravine de Saint-Barthélemy avec un mâle 136 cm, Jean-Claude Plassais comm. pers., photo p. 129). Les femelles occupent des domaines plus grands que ceux des mâles. Ils se chevauchent avec ceux d'autres femelles et parfois avec ceux de plusieurs mâles. Des observations ponctuelles suggèrent qu'il existe une hiérarchie entre les différentes femelles associées à un mâle.

Comme de nombreuses espèces de Reptiles des régions tropicales, la reproduction durant la saison des pluies coïncide avec le développement de la végétation nécessaire à l'alimentation des nouveau-nés. La croissance de la végétation est alors plus importante et les plantes plus riches en protéines, ce qui conduit à un développement plus rapide. Dans les habitats arides, où les conditions climatiques sont les plus marquées, la reproduction semble relativement synchronisée comme à Petite Terre et à la Désirade, où les femelles pondent généralement de juin à mi-août (Breuil et Thiébot, 1994; Barré et al., 1997; Lorvelec et al., 2000). À Saint-Barthélemy, les femelles pondent en juillet-août (obs. pers., août 1996, 2000 et 2001; J.C. Plassais, comm. pers., août 2000). En revanche, dans des milieux plus humides, la reproduction apparaît moins synchronisée. Par exemple, à la Dominique, des femelles gravides sont présentes entre février et août (Day et al., 2000) et des femelles ont été observées pondant entre le 4 mars et le 12 juillet (Day, 1993). Ainsi, la saison de reproduction semble plus longue et deux pontes par an sont envisageables (Day et al., 2000). II n'y a pas d'observations sur la reproduction de cette espèce sur la Basse-Terre et aux Saintes. Breton (1647) a noté: "les mâles sont gris, et les femelles vertes, elles font des oeufs jusqu'à dix-huit à la fois et descendent au bord de la mer pour y pondre dans le sable".

Selon Du Tertre (1667), en Guadeloupe: "les iguanes s'accouplent au mois de mars" et "Environ au mois de mai, les femelles descendent de la montagne et s'approchent du bord de mer pour y pondre leurs oeufs, où la plupart des mâles les accompagnent: voilà pourquoi jusqu'au mois d'août, on en prend beaucoup plus que dans tout le reste de l'année". Ces observations sont confirmées par les données actuelles. À la Dominique, elles parcourent en moyenne 460m (n=4) et parfois jusqu'à 900m (Day et al., 2000). À Chancel (Martinique), une femelle baguée en 1997 sur un site de ponte a été retrouvée deux ans plus tard sur un arbre à côté d'un autre site de ponte distant d'environ 1000 m. Une autre marquée la même année a été retrouvée fin juillet 2000 sur le même site de ponte où elle avait été capturée. Une autre femelle a été reprise à la même époque sur ce site de ponte alors qu'elle avait été marquée en 1999 dans une mangrove à environ 1800m de là (Breuil, 2000d). Ces migrations suggèrent que les femelles pondent là où elles sont nées car elles passent parfois par d'autres sites de ponte, mais ne s'y arrêtent pas. En revanche, à Saint-Barthélemy, certaines femelles pondent dans leur domaine habituel alors que d'autres parcourent des distances importantes pour aller pondre. De tels déplacements existent aussi aux îles de la Petite Terre où les sites de ponte sont localisés dans des zones sableuses, nues, bien drainées, exposées au soleil (Breuil, 2000b). Dans les terrains sableux, les nids sont formés par un tunnel d'un mètre de longueur se terminant dans une chambre où la femelle se retourne. Dans les terrains rocailleux, les terriers sont souvent plus petits et il n'est pas rare de voir une femelle pondre avec la tête et la queue qui dépassent.

Pour les iguanes de la Martinique Bouton (1640) a noté des pontes de 20 à 30 oeufs, alors que selon Du Tertre, le nombre d'oeufs serait toujours impair, de 13 à 25 pour les iguanes de Guadeloupe. L'Anonyme de Carpentras (1618-1620) a noté "environ 15 ou trente" pour les iguanes de la Dominique et de la Martinique. En Dominique, le nombre d'oeufs varie d'environ 8 à 18, il est fortement corrélé à la taille de la femelle (Day et al., 2000). Schardt (1998a) a mentionné jusqu'à 22 oeufs d'une longueur de 45 mm pour une ponte en Dominique.

Les oeufs pèsent entre 17 et 22 g et mesurent environ 45 x 25 mm [n = 25, mesures prises sur des oeufs de Martinique (Chancel) fraîchement déterrés par d'autres femelles] alors que Day et al. (2000) ont indiqué une moyenne de 25 g pour des oeufs de la Dominique. Il semble donc exister une variation géographique dans la taille des pontes et le poids des oeufs.

Des observations ponctuelles suggèrent une durée d'incubation naturelle de 3 mois (Day et al., 2000). Le premier jeune né en captivité (20g , LC=75 mm à l'éclosion) provient d'un oeuf ayant été incubé 73 jours à 31 °C au Jersey Wildlife Preservation Trust (Reichling, 2000) ; récemment, 8 oeufs dont les parents proviennent de la Dominique ont tous éclos dans la même institution, à l'éclosion les nouveau-nés mesuraient entre 80 et 83 mm sans la queue et pesaient entre 17,6 et 18,9 g. À 5 mois, ils pesaient entre 53 et 84g et mesuraient entre 114 et 130 mm (LC) l'incubation a duré 93-95 jours (Gibson, 2001).

À la naissance, la longueur totale (une seule donnée personnelle pour Chancel, éclosion entre le 24 et le 29.07.00) était de 245 mm pour une taille corporelle (LC) de 67 mm et un poids de 15 g, soit des valeurs équivalentes à celles d'Iguana iguana (p. 142). Ce nouveau-né est plus petit que celui de Reichling (2000), ce qui n'a rien d'étonnant compte tenu de la plus petite taille des oeufs de Chancel, mais de proportion très différente de ceux de la Martinique. Ces différences de taille des oeufs et des nouveau-nés mériteraient de plus amples recherches. Une éclosion à Chancel fin juillet correspond à une ponte vers fin avril. Pour les femelles qui pondent essentiellement en juillet-août (Désirade, Petite Terre, Saint-Barthélemy), les éclosions se déroulent environ de fin septembre à novembre, période qui correspond à une augmentation de la pluviométrie et donc à un développement important de la végétation. Ainsi, sur le même site de ponte, il y a des éclosions alors que des femelles pondent encore. Si le Carême est humide, les iguanes ont tendance à pondre plus tôt.

Il est a prioiri étonnant de voir que les données de Du Tertre (1654, 1667) correspondent plutôt à la période actuelle de ponte d'Iguana iguana (mai) et que le nombre d'oeufs pondus est celui d'Iguana delicatissima. Reichling (2000) a noté que les accouplements d'Iguana delicatissima de la Dominique élevés au Zoo de Memphis avaient lieu en mars et les pontes en mai juin. Ses données correspondent parfaitement à celles de Du Tertre (p. 129), ce qui une fois de plus, montre la fiabilité de ce chroniqueur. En revanche, la ponte obtenue à Jersey, pour des iguanes de même origine, a eu lieu mi-août (Gibson, 2001). À Chancel, des pontes ont lieu en mai (obs. pers. de nouveau-nés juillet 2000 et 2001).

Pour rendre compte de ces dates de ponte, on pourrait, en théorie, envisager qu'à l'époque de Du Tertre, les deux espèces d'iguanes étaient déjà présentes en Guadeloupe. Cependant, les descriptions des iguanes données par Breton (1647) et du Tertre (1667) (couleur des mâles et des femelles, bosses sur la tête des mâles, nombre, d'oeufs) correspondent bien à Iguana delicatissima. La présence d'Iguana iguana en Guadeloupe apparaît donc ainsi comme récente (p. 144).
Lewis (1944), suivi par Wiewandt (1982), ont considéré que la description et le dessin de l'iguane de Du Tertre s'appliquait à un Cyclura. Cette déduction est fausse, elle repose sur le dessin de Sloane (1707-1725) qui a voulu représenter sous le nom de Lacertus majore viridi cinereus, dorso cerista breviori un Cyclura de la Jamaïque, mais qui s'est contenté de reproduire le dessin d'iguane de Du Tertre (p. 15 et 37) qui est bien un Iguana delicatissima, d'où l'erreur de Lewis (1944).

Il est donc plus probable que l'évolution climatique depuis le XVIIe siècle ait entraîné un recul de la saison des pluies et donc de la période de reproduction plus tard dans l'année. Ainsi, selon Moreau de Jonnès (1822), qui a réalisé de très nombreux relevés de températures et d'hygrométrie en Martinique: "La moindre humidité de l'air a pour époque aux Antilles les mois de janvier, février, mars ét avril. L'humidité la plus grande règne dans l'atmosphère pendant les mois d'août, septembre et octobre". Actuellement, les pluies sont les plus abondantes de Juillet à novembre inclus. Ainsi, aux XVII-XVIIie siecles, les pluies commençaient probablement en juin ; les éclosions se déroulaient au début de la saison des pluies (août). De nos jours, les femelles d'Iguana delicatissima pondent jusqu'à la mi-août/fin-août , Saint-Barthélemy, Petite Terre) dans les milieux arides et les éclosions ont encore lieu en novembre, soit pendant les pluies. En revanche, sur la Basse-Terre, les pontes apparaissent moins synchronisées comme à la Dominique (p.129) et les remarques de Du Tertre s'appliqueraient donc à Iguana delicatissima.

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Protection :

Suivant les critères de l'Union mondiale pour la nature (UICN, Breuil et Day, in Hilton-Taylor, 2000), Iguana delicatissima est considéré comme une espèce vulnérable car le déclin de la population serait supérieur à 10% par génération pour les deux dernières générations et qu'il n'existe que deux populations d'effectif supérieur à 5000 individus.

Actuellement 8 populations ont un statut critique, 3 sont en danger et 3 sont vulnérables.

Statut critique:
Antigua, Anguilla, île Fourchue + Satellites (SaintBarthélemy), les îles des Saintes, Grande-Terre, Martinique, Saint-Eustache, Saint-Martin.
Dans toutes ces îles, il y aurait 50% de risques d'extinction dans les deux générations suivantes à cause de la fragmentation de ces petites populations en combinaison avec une destruction de l'habitat, la chasse, les prédateurs, la compétition et l'hybridation.

Statut en danger:
Basse-Terre, îlet Chancel (Martinique) et Saint-Barthélemy.
La taille de chacune de ces populations est comprise entre 250 et 2500 individus et avec l'introduction d'Iguana Iguana et/ou une diminution d'effectif par génération supérieure à 10% causée par la destruction de l'habitat, ces populations sont fragilisées.

Statut vulnérable :
La Dominique, îles de la Petite Terre, la Désirade.

Pour chacune de ces îles, la population moyenne est inférieure à 10.000 individus, la destruction de l'habitat, l'arrivée potentielle (naturelle ou par l'homme) d'Iguana iguana sont les deux facteurs rendant les populations de ces îles vulnérables. Il ne faut pas non plus négliger les aléas climatiques qui ont fait chuter la population de Petite Terre à environ 6000 individus après les cyclones Luis et Marylin de 1995 et les Carêmes particulièrement secs, comme celui de 2001, qui mettent à mal les populations comme c'est le cas à Saint-Barthélemy (Jean-Claude Plassais, in litt., mai 2001) ou de Petite Terre (p. 125).

La destruction de l'habitat et la fragmentation des milieux favorables ont été historiquement plus marquées dans les îles les moins montagneuses dont la végétation originale a été systématiquement éliminée et remplacée par les plantations. Jane (in Moreau, 1992) a rapporté au temps de la découverte de Marie-Galante, que: "Dans cette île, il y avait une telle couverture forestière que c'était une merveille avec tant d'essences différentes inconnues". Dès le début du XVIIe siècle, les îles comme Saint-Christophe, (Moreau, 1992), étaient cultivées pour le pétun (tabac), puis pour la canne à sucre. Ainsi, les îles les plus cultivées sont celles où Iguana delicatissima a disparu ou ne demeure que sous forme de petites populations. Le tourisme ayant supplanté l'agriculture, l'aménagement côtier pour le logement et toutes les activités dérivées ont réduit de manière significative l'habitat restant. En revanche, sur la Grande-Terre, un complexe touristique a conservé un morceau de mangrove dans lequel habitent les deux espèces d'Iguana et leurs hybrides (p. 119). De plus, ces activités ont, d'une manière encore plus significative, affecté les sites collectifs de ponte dont le nombre et l'étendue sont des facteurs conditionnant le maintien de cette espèce. Par exemple, à Chancel (Martinique), il semblerait que ce soit le nombre de sites de ponte qui soit le facteur limitant de la taille de la population (Breuil, 1997c, 2000a). Des travaux ont été réalisés (ONF, DIREN de Martinique) pour augmenter la surface d'un site de nidification et empêcher les touristes et les moutons de le piétiner (Breuil, 2000b,d;2001b). Une information sous forme d'un panneau grand-public a été mise en place sur le site. Il précise le but de cet aménagement et les causes de la régression de cette espèce (compétition, hybridation, chasse, destruction de l'habitat...).

Les chats errants sont supposés être des prédateurs effectifs des jeunes iguanes à Anguilla, cette déduction repose en partie sur l'absence de jeunes iguanes durant les différentes prospections effectuées (Day et al., 2000). À Saint-Barthélemy, les prédateurs errants sont peu nombreux, mais un nombre significatif de chiens de garde, libres dans de grandes propriétés grillagées, sont responsables de la mort d'iguanes adultes qui se sont aventurés en passant par les arbres dans ces espaces clos (Day et Thorpe, 1992). À Saint-Barthélemy, des chats ont été vus s'attaquer et tuer des iguanes de 60-70cm de longueur (J.C. Plassais, comm. pers., août 2000). Les mangoustes (Herpestes javanicus) ont été introduites dans de très nombreuses îles des Petites Antilles (p.35) pour éliminer les rats noirs et les serpents venimeux. Les nouveau-nés et les jeunes iguanes ont des tailles compatibles avec leur capture par les mangoustes, et dans toutes les îles où la mangouste a été introduite avec succès, les populations d'Iguana delicatissima ont disparu ou sont particulièrement en danger, mais il n'y a pas de preuves directes que ce prédateur soit la cause de la disparition des iguanes.

Le raton-laveur (Procyon lotor) est un prédateur potentiel de l'iguane des Petites Antilles comme l'ont montré de récentes observations de Day (1999) sur la régression d'une espèce d'iguane terrestre des Bahamas (Cyclura rileyi cristata) à la suite de l'arrivée, à la nage, d'un seul individu. L'introduction du raton laveur à la Guadeloupe (Pons et al., 1999) et à la Martinique (Tanasi, 1999) a pu être un facteur de fragilisation des populations d'iguane des Petites Antilles d'autant plus que ces deux espèces cohabitent dans les mangroves et arrière-mangroves comme à Clugny (Basse-Terre).

Les rats noirs (Rattus rattus) fragilisent aussi les populations d'iguanes. Nous n'avons pas de données précises sur l'impact réel de ce rongeur sur l'iguane des Petites Antilles, mais les rats consomment des oeufs d'iguanes, voire des jeunes. De plus, ils sont en compétition pour la nourriture et creusent des galeries dans les sites de pontes (Day, 1999).

Les herbivores domestiques ou errants sont des concurrents dans la quasi-totalité des îles habitées par les iguanes à l'exception des îles de la Petite Terre et d'une grande partie de la Dominique. Les herbivores libres comme les chèvres et les moutons sont particulièrement abondants à Anguilla, à l'Ilet Chancel (Martinique), à la Désirade, dans certains secteurs des Saintes et à Saint-Eustache. Ils sont responsables d'un surpâturage qui modifie la composition spécifique et la structure de l'habitat. En 1963, l'IIe Fourchue, au large de Saint-Barthélemy, a été décrite comme "grouillant d'iguanes" (Lazell, 1973) et Goodyear et Lazell (1994) ont indiqué qu'il y avait au moins 40 iguanes sur cette île. Depuis, des chèvres ont été introduites provoquant un surpâturage, une érosion colossale et, en association avec quelques sécheresses, la population d'iguane a quasiment disparu (p. 122).

D'un point de vue historique, la chasse a existé dans toute l'aire de répartition d'Iguana delicatissima depuis l'arrivée des Amérindiens comme l'atteste la présence d'ossements d'iguanes dans les sites précolombiens (Pregill et al., 1994). Elle a été très pratiquée par les Caraïbes à la Dominique et en Guadeloupe (Breton 1666, 1667), par les Français à la Martinique (Bouton, 1640 et Labat, 1722) et aussi à Saint-Barthélemy au XVIIIe siècle (Tingbrand, 1995). La difficulté des conditions de vie et la famine à Saint-Christophe au début du XVIIe siècle (Moreau, 1992) a dû conduire à une pression importante de chasse sur les iguanes. Breton a écrit à ce propos : "Le lézard de terre que l'on mange aux isles rassasie trois personnes dans un dîner. Il fait du bon potage quand il est mis au pot. Les oeufs servent à leur faire une sauce". Les Caraïbes dressaient leur chien pour capturer des lézards (Breton, 1665). Les oeufs étaient consommés, la viande était mangée (Anonyme de Carpentras, 1618-1620; Breton, 1665, 1666: Du Tertre, 1667) et pour protéger les objets en fer de la rouille Breton (1665) a rapporté que "ce qui oblige ceux qui ont des armes à faire provision de graisse et spécialement de pannes de lézard pour les frotter et conserver". La graisse des autres espèces de lézards était aussi recherchée (p. 137).

La chasse est maintenant interdite dans toute l'aire de répartition. Malheureusement, Saint-Eustache a récemment connu une reprise de cette activité, entraînant un effondrement de la population restante. L'augmentation de cette chasse est à relier à une augmentation du nombre d'ouvriers du bâtiment employés dans la construction de citernes de stockage de produits pétroliers et un effondrement de l'économie locale causée par un changement dans les règles commerciales de la CEE. La viande d'iguane continue à être vendue aux ouvriers et aussi exportée dans les restaurants de Saint-Martin. La chasse reste une activité importante dans certaines zones de la Dominique, où certaines populations ont vu leur effectif diminuer à la suite d'une exploitation inconsidérée (Day et al., 2000). La chasse est aussi pratiquée en Guadeloupe et ce de manière illégale (région de Capesterre et la Désirade). Elle est le fait le plus souvent de Martiniquais ou de Guyanais. Un procès pour trafic de tortues et d'iguanes des Petites Antilles a eu lieu en 1999 en Floride. Les prévenus ont été lourdement condamnés.

L'hybridation (p. 118) entre les deux espèces d'iguane a d'abord été envisagée pour rendre compte des phénotypes aberrants d'iguanes observés à Terre-de-Bas des Saintes (Breuil et Sastre, 1993). Cette hypothèse est maintenant confirmée par des analyses génétiques et morphométriques à partir d'animaux en provenance de Basse-Terre et des Saintes (Day et Thorpe, 1996; Day et al., 2000). Cette hybridation semble se produire très rapidement. Ainsi, aux Saintes, Lazell (1973) indiquait que dans les années 1960, les deux espèces d'iguanes étaient également abondantes et qu'elles étaient allopatriques. Cette conclusion n'était que partiellement vraie puisque dès les années soixante, l'hybridation avait déjà débuté (Day et al., 2000). Underwood (1962) n'a mentionné qu'Iguana delicatissima dans les années 40-50 à Terre-de-Haut. Contrairement à Lazell (1973), nous attachons du crédit aux déterminations d'Underwood (p. 121) et nous pensons donc que l'extension d'Iguana iguana aux Saintes a débuté dans les années 50.

Dans les années 1992-2000, nous n'avons observé qu'une dizaine d'Iguana delicatissima aux Saintes, la plupart présentant des caractères intermédiaires entre les deux espèces. Il est proposé que les phénomènes de compétition et d'hybridation soient les facteurs dominants de la disparition d'Iguana delicatissima des Saintes, en l'absence de modifications significatives du milieu.

L'introduction et l'expansion d'Iguana iguana sur Antigua (p. 29), la Martinique (Breuil, 1997b; obs. pers. 1999, 2000, 2001), Saint-Martin, la BasseTerre et la Grande-Terre sont maintenant assez bien connues. Pour l'instant, ces introductions n'ont pas conduit à des phénomènes d'hybridation à Antigua et en Martinique du fait de la localisation encore très réduite des populations introduites. À Saint-Martin, la situation n'est pas claire, mais le pire est à craindre compte tenu du commerce d'Iguana iguana dont cette île est le support et des quelques individus de cette espèce qui s'échappent régulièrement des animaleries ou des lieux (jardins, hôtels, parc zoologique) où- ils sont détenus. En revanche, tout le littoral de la Grande-Terre et l'intérieur des terres vers Saint-François sont envahis par Iguana iguana, alors que ce n'était pas le cas en 1993 et les quelques petites populations de I. delicatissima restantes vont disparaître sous l'effet de la compétition et de l'hybridation. Selon Roughgarden (1995) : "Les deux espèces d'iguane, qui ont la même taille corporelle, ont une distribution complémentaire, chaque île a son iguane, mais les deux espèces ne cohabitent nulle part, même en Guadeloupe I. delicatissima se trouve sur Grande-Terre, alors qu' I. iguana est sur Basse-Terre". Ces conclusions ne correspondent pas à la réalité, mais ont servi à étayer des modèles sur l'évolution des peuplements d'Anolis (p. 151).

Ce problème de compétition et d'hybridation entre les deux espèces est un problème très sérieux pour la protection d'Iguana delicatissima. Day et Thorpe (1996) ont confirmé la réalité de l'hybridation entre les deux espèces. Les dangers que présentent la compétition et l'hybridation pour la protection d'Iguana delicatissima sont mis en avant, entre autres, par Malhotra et Thorpe (1999) et par le West Indian Iguana Specialist Group (WIISG) de l'Union mondiale pour la Nature (UICN) (Day et al., 2000 ; Daltry et al., 2001). Devant le danger que représente la compétition et l'hybridation avec l'iguane commun, les iguanes communs arrivés à Anguilla ont été éliminés (Bloxam, 2001). En Martinique, le Parc Naturel Régional, l'Office National des Forêts, la Direction Régionale de l'Environnement et les différents médias informent régulièrement le grand public de ces menaces et du problème des espèces envahisseuses (invasives). Cette information reste à faire dans l'archipel Guadeloupéen. Ainsi il est dommage que la seule action de sensibilisation (Lorvelec et Pavis, 1999) du grand public à cette espèce patrimoniale ne mentionne pas la compétition et l'hybridation comme causes de régression de cette espèce. En effet, il existe des personnes bien intentionnées qui, découvrant un iguane commun, se proposent de le relâcher dans des zones peuplées par l'iguane des Petites Antilles, cette pratique, illégale dans l'archipel Guadeloupéen, est à proscrire. Grâce à l'information réalisée par les administrations martiniquaises, ce problème a pu être évité. La conservation de cette espèce ne sera assurée définitivement que sur des îles ou des petits îlots peu ou pas habités (Iles de la Petite Terre, Ile Fourchue, Ilet Chancel, la Désirade). Pour les îles où les deux espèces cohabitent, des études précises doivent montrer quels sont les facteurs responsables de l'extension d'Iguana iguana et comment ces deux espèces se comportent en présence l'une de l'autre. De la même manière, il est impératif que soit réalisée une étude fine de la répartition des deux espèces afin de comprendre les modalités d'extension de l'iguane commun. Ce projet vient de nous être demandé par la DIREN de Guadeloupe (D. Burette, in lin., juillet 2001), mais pour l'instant aucune suite ne lui a été donnée par cette administration.

De nombreux iguanes se font écraser sur les routes littorales qui coupent leur habitat notamment à la Dominique, sur la Basse-Terre, à la Désirade et à Saint-Barthélemy. Le maximum de mortalité a lieu à la fin de la saison sèche quand de nombreuses femelles gravides sont tuées lors des migrations vers les sites de ponte côtiers et au début de la saison humide au moment où les nouveau-nés quittent les nids. De plus les cyclones sont un facteur très important de mortalité. Ainsi, les sites de ponte situés en arrière des plages sont recouverts par la mer et la majorité des oeufs noyés. Le vent, par défoliation, et le salage de la végétation entraînent une pénurie alimentaire que les nouveau-nés et les jeunes ne peuvent supporter. De plus, les individus, en général les jeunes, sont entraînés par les vents. Par exemple à Saint-Barthélemy, dans une colonie étudiée en août 2000, tous les iguanes étaient adultes (LT > 105 cm) à l'exception d'un individu qui mesurait 79 cm (n = 25). Les cyclones de 1999 ont été responsables de la mortalité de la quasi-totalité des individus d'un et deux ans. Après le cyclone, les iguanes quittent alors leur domaine et partent à la recherche de nourriture. Affaiblis, ils se font écraser sur les routes, tuer par des chiens et meurent de faim.

© Histoire naturelle des amphibiens et reptiles terrestres de l'archipel guadeloupéen
Michel BREUIL - Ed.Museum national d'histoire naturelle de Paris (Paris- 2002)

Action-Nature  (2003)

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